Discorso
12 febbraio 2007

Bruxelles - Convegno promosso da "Gauche Reformiste européenne"

Testo dell'intervento - (versione originale)


Je remercie les amis de la Gauche Réformiste Européenne de m'avoir offert l'occasion de vous adresser quelques réflexions sur le thème de la relance de l'Europe, en surmontant ainsi les difficultés évidentes de ces dernières années. Nous nous trouvons face à un tournant décisif du projet d'intégration : soit nous réussirons à parvenir à un accord sur le Traité constitutionnel d'ici aux élections de 2009, soit ce que nous avons défini jusqu'à présent une « pause de réflexion » se révélera en fait une crise paralysante. Une crise que les Gouvernements et les citoyens européens ne peuvent - tout simplement - se permettre. Et cela pour une raison essentielle : une Union européenne susceptible de fonctionner est un instrument indispensable pour mettre les Européens en mesure de prendre leur destin en main au cours du 21ème siècle, tout en défendant des valeurs et des intérêts communs. Il y a cinquante ans, l'Europe pouvait apparaître comme un choix - et en effet, ce fut le choix, fort clairvoyant, d'un leadership politique doué de grandes qualités. Face aux enjeux mondiaux d'aujourd'hui, l'Europe apparaît encore plus clairement une nécessité incontournable. Mais ce qui était vrai il y a un demi-siècle, reste encore plus vrai aujourd'hui : c'est sur la politique européenne que se mesure la qualité des classes dirigeantes nationales. Et que se mesurera - j'en suis convaincu - le destin de la gauche : les forces réformistes ne réussiront à réaliser les objectifs qu'elles se proposent d'atteindre sur le plan économique et social que si elles parviennent à faire prise sur un espace politique ouvert, continental. Si d'autres solutions devaient s'imposer - dans un amalgame d'euro-scepticisme, de nationalisme et de protectionnisme - la gauche n'aura guère d'avenir et risquera d'être reléguée à un rôle stérile de témoignage ou de conservatisme.

Le deuxième âge de l'Europe

Permettez-moi de commencer par une prémisse. En mars prochain, nous célébrerons avec fierté le premier demi-siècle de vie du projet européen. Fierté au titre des résultats atteints, qui ont été extraordinaires. Fierté d'avoir créé, avec l'Union européenne, un modèle d'organisation supranationale unique, capable d'exercer à l'extérieur un fort pouvoir d'attraction. Certes, l'Europe a été un succès. Mais cette conviction ne doit, en aucun cas, nous empêcher de reconnaître les faiblesses de la situation actuelle. La crise de ces dernières années, dont témoigne le résultat des consultations référendaires dans deux pays-clé du continent européen, n'est pas un simple accident de parcours. Il serait illusoire de penser que la reprise économique suffira à réabsorber le découragement de nombreux secteurs de l'opinion publique envers les institutions européennes ou l'indifférence d'autres citoyens envers le sort commun. La réalité c'est que l'Europe - après la phase d'expansion marquée par le lancement de la Monnaie unique et du succès de l'élargissement en 2004 - n'est guère « en forme ». Elle est entrée dans une phase de repli sur elle-même, dont elle a de la peine à se dégager. Le Traité constitutionnel a été la victime, plutôt que la cause, de la crise de confiance actuelle. Et si nous observons les raisons, diverses et souvent contradictoires, du malaise européen, nous constatons que l'une d'elle se détache comme dominante : les citoyens réclament à l'Europe la protection contre les tensions et les insécurités engendrées par les processus et les phénomènes que nous définissons par le terme mondialisation ; l'Europe ne parvient pas à la garantir. Un écart évident s'est creusé - les sondages d'Eurobaromètre le prouvent régulièrement - entre ce qu'une partie des Européens attendent de l'Union et ce que l'Union est en mesure de leur offrir dans son aménagement institutionnel actuel.

Ceci doit être notre point de départ. Il devient alors plus évident qu'un accord constitutionnel est la condition indispensable (bien que non suffisante) d'une véritable relance de l'Europe. Une fois défini le futur projet constitutionnel, deux autres conditions s'imposeront pour donner un nouvel élan au processus d'intégration : un dessein stratégique bien plus clair pour l'avenir de l'Union, qui doit également inclure une décision explicite sur les frontières extérieures ; ainsi qu'une révision beaucoup plus rapide des politiques et des ressources financières affectées à ce titre, qui, en bref, plutôt que régionales, doivent devenir globales.

En définitive, ce n'est pas l'Europe d'hier que nous devons relancer, mais une Europe nouvelle, capable d'être compétitive dans le monde de demain sur la base des intuitions de méthode et de culture qui font partie du patrimoine communautaire

Attardons-nous un instant - pour mieux comprendre le sens de ce passage - sur l'évolution historique. Au cours de ces premiers cinquante ans, l'intégration européenne s'est concentrée essentiellement sur l'intérieur : la réconciliation intra-européenne après le deuxième conflit mondial, l'abolition des barrières économiques et la création du marché unique, la cohésion sociale et territoriale, la monnaie. Tout au long de cette première phase de vie de la Communauté, les Etats membres ont conservé presque intégralement leurs prérogatives extérieures, à l'exception du secteur commercial. Or, cette conception ne peut plus être valable aujourd'hui. La distinction entre ce qui est intérieur et extérieur est devenue, en effet, très floue. Ce que nous étions habitués à considérer comme « intérieur » (par exemple le contrôle de l'émigration) tend à devenir un problème commun ; ce que nous considérions comme extérieur (les menaces terroristes, les défis lancés à notre système de valeurs) s'est déplacé sur le plan intérieur. Et surtout, l'origine des problèmes économiques et sociaux qui se manifestent au niveau national ou local relève toujours davantage de processus globaux

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En bref : l'Europe des premières cinquante années s'est essentiellement concentrée sur l'intérieur. L'Europe des prochaines cinquante années tirera sa légitimité surtout de sa capacité à relever des défis et à saisir des opportunités d'origine extérieure. A l'aube de ce siècle, le processus d'intégration européenne devra permettre aux Etats nationaux d'affronter de façon compacte et solidaire les défis mondiaux qui nous connaissons : l'impact de la redistribution du pouvoir politique et économique mondial, la sécurité énergétique, les changements climatiques, les problèmes migratoires, la lutte à la pauvreté et aux inégalités.

L'importance d'un accord sur les éléments essentiels d'un projet constitutionnel

Dans le cadre institutionnel actuel, l'Union à 27 n'est pas en mesure de décider et de fonctionner avec efficacité. Nous avons donc un besoin vital d'un accord sur les Traités. Non pas parce que les institutions sont une fin en soi ; mais parce qu'elles représentent un instrument indispensable pour produire des résultats stables. Pour l'Italie, l'objectif est évident : parvenir, d'ici le printemps 2009, avant les élections européennes et le renouvellement de la Commission, à un accord susceptible de sauvegarder les éléments fondamentaux du Traité constitutionnel de Rome. Naturellement, nous ne pouvons ignorer les résultats négatifs des référendums aux Pays-Bas et en France ou les hésitations d'autres Etats membres qui ont laissé en suspens la procédure de ratification du Traité de Rome. Mais nous ne pouvons pas non plus négliger le fait que dix-huit pays, qui représentent de loin la majorité de la population de l'Union, ont désormais approuvé ce Traité. Tout autre texte n'aura donc de sens que s'il obtient un consensus supérieur et, nous l'espérons vivement, l'unanimité requise des signatures et des ratifications

Il s'avèrerait plutôt stérile de discuter, dans l'abstrait et le nominalisme, si, en définitive, ledit Traité sera minus ou plus ou bis. Concentrons-nous plutôt sur le fond: il en va des intérêts généraux de l'Europe de sauvegarder tout ce qui renforce tant la légitimité démocratique que l'efficacité de l'Union à 27. L'important, c'est que ces réformes soient adoptées et que l'on impose très clairement des seuils à ne pas dépasser. On devra donc travailler à partir du texte signé à Rome en 2004 au terme des débats de la Convention et de la Conférence Intergouvernementale et non pas des dispositions de Nice, pour en proposer de simples ajustements.

Quelles sont les réformes essentielles à sauvegarder ? Je les cite rapidement :

- la création d'un Ministère des Affaires Etrangères qui devra présider le Conseil et faire partie de la Commission ;
- la désignation d'un Président stable du Conseil européen ;
- l'extension du vote à la majorité qualifiée sur la base du principe de la double majorité ;
- la possibilité de recourir à la coopération renforcée et à d'autres formes de différentiation pour garantir un dynamisme inchangé au processus d'intégration.

Autant de réformes qui permettraient une plus grande efficacité décisionnelle et donneraient aux institutions de l'Union une expression plus visible et plus cohérente.

Et encore :

- l'introduction - comme prévu précisément par le Traité de 2004
- de mécanismes de démocratie directe et d'un système plus clair de la répartition de compétences et des sources législatives ;
- l'attribution de force juridique contraignante à la Charte des droits, en envisageant même des formules plus souples que celle qui sont actuellement prévues ;
- l'attribution de la personnalité juridique internationale à l'Union, qui en renforcerait le poids dans les nouveaux systèmes multilatéraux.

Voilà quels sont, pour le Gouvernement italien, les indicateurs-clé de la capacité du futur texte fondamental de l'Union à répondre aux exigences prioritaires de démocratie et d'efficacité.

Un « nouveau contrat » avec les citoyens européens

L'alternative à un accord institutionnel est au minimum ce que les Anglais définiraient « muddling through » ou peut-être une rupture même plus verticale au cœur d'une Europe que nous venons à peine de réunifier et qui doit s'attendre à de nouveaux élargissements. Mais, comme je le disais auparavant, un accord institutionnel, aussi indispensable qu'il soit, ne suffira pas à lui seul à relancer le projet européen. Nous avons également besoin de définir beaucoup plus clairement notre projet d'Europe globale. Et si nous voulons que les élections de 2009 réussissent réellement à motiver les citoyens européens, il est nécessaire que les lignes directrices de projets politiques concurrentiels se précisent avec clarté. En d'autres termes : je considère comme vital - pour une relance authentique de l'Union - que l'agenda européen soit considéré par les citoyens comme une partie intégrante des agendas politiques internes. D'ailleurs, la nature des défis auxquels nous sommes confrontés fait que l'action des gouvernements nationaux, la gouvernance européenne et la gouvernance globale soient toujours plus étroitement reliées entre elles.

Permettez-moi de m'attarder un instant sur ce point décisif : quel est l'amalgame optimal, dans le contexte global d'aujourd'hui, entre politiques nationales et politiques européennes. De combien d'Europe avons-nous besoin ? et où en avons-nous besoin ? Les Pays européens ont déjà expérimenté le fait que dans différents secteurs ils arrivent à défendre leurs intérêts respectifs et à conserver ou à gagner de l'influence uniquement en partageant la souveraineté au sein de l'Union : il en est ainsi, déjà depuis longtemps, pour le commerce et la monnaie. Dans quels autres secteurs faudra-t-il faire de même ? Dans la plupart des secteurs de la dimension extérieure dirai-je: de l'énergie au climat, à la politique de la sécurité; encore que je me dois d'ajouter immédiatement qu'une augmentation de la cohésion européenne, dans ces matières, réclame la fin du pouvoir de blocage de chaque Etat national, ainsi qu'une plus grande «souplesse » dans les processus décisionnels.

L'expérience nous enseigne également qu'il existe des domaines et des secteurs où probablement l'Union a trop fait, où elle a réglementé avec excès et où nous aurions besoin d'une simplification ciblée et sélective des règles, voire également de la restitution à chaque Etat membre et aux collectivités régionales et locales de la liberté d'auto-réglementation

Voilà ce qui me semble être un ingrédient essentiel d'un nouveau « contrat » avec les citoyens européens. Il est indispensable de créer un consensus sur ce que je définirais la « macro-subsidiarité » : l'Europe fera uniquement ce qu'elle est en mesure de faire mieux que les Etats nationaux et là où l'Union assure une évidente valeur ajoutée. Nous devrions, en tant que gauche réformiste européenne, réussir à articuler sur cette question un débat moins formel. En prenant comme point de référence non pas les affrontements quasi théologiques du passé (fonctionnalisme opposé à fédéralisme) mais les exigences concrètes du présent et de l'avenir de nos sociétés. La « macro-subsidiarité » permet également d'aborder dans une vision plus réaliste le thème de la souveraineté nationale dans le nouveau système mondialisé. Nous ne devons, ni nous voulons renoncer au contrôle démocratique sur notre destin ; essayons de le reconquérir, là où nous l'avons perdu, et cela moyennant la construction européenne. Les réponses de nature nationaliste aux défis de la mondialisation n'impliquent pas, paradoxalement, une plus-valeur en termes de souveraineté nationale; elles contribuent, au contraire, à son affaiblissement ultérieur.

Nous avons également besoin d'une approche novatrice sur le problème du rapport entre citoyens et institutions européennes. Nous ne pouvons pas continuer à faire semblant de croire que le problème d'identification entre citoyens et institutions européennes n'existe pas. Le problème est réel et nous le constatons régulièrement aux élections européennes quand les campagnes politiques sont en réalité nationales ou bien laissent indifférents. Il me semble que le moment est venu, trente ans après les premières élections parlementaires européennes, d'innover courageusement : d'entreprendre des démarches concrètes pour générer des familles politiques européennes susceptibles de pouvoir se présenter avec des listes unifiées aux élections du Parlement de Strasbourg. Les partis nationaux qui confluent dans le même groupe européen devraient « s'apparenter » pour les élections, en présentant des programmes et des candidats communs. Ils ne le feront pas tous, mais j'espère que le futur parti démocratique italien le fera, en nouant des alliances européennes avec d'autres partis de l'espace désormais fortement diversifié, couvert par le PSE. Une deuxième décision serait utile : que chacune des familles politiques européennes indique son candidat à la présidence de la Commission. Nous savons à quel point un choix de ce genre risque de gripper les mécanismes consensuels sur lesquels repose le Parlement européen et qu'il finirait par conduire à la fin du monopole de l'initiative législative de la Commission ; mais il me semble que nous devrions agir en ce sens si nous voulons tenter de construire de véritables partis politiques européens.

Enfin, une vision claire des frontières futures de l'Union doit être partie intégrante d'un « nouveau contrat » avec les citoyens européens. L'Europe a besoin de se doter de frontières extérieures certaines. Selon mon point de vue, il s'agit de frontières qui devront inclure les Balkans occidentaux. Nous devons dépasser « the enlargement fatigue » de ces dernières années et, une fois réalisées les réformes constitutionnelles, ouvrir les portes aux pays de cette région qui satisferont toutes les conditions requises pour devenir membres de l'Union. Nous ne pouvons pas laisser que les Balkans deviennent une sorte d'enclave, une zone d'exclusion d'où proviennent flux migratoires et criminalité. Si la perspective de la pleine adhésion était éliminée de la table des négociations, la capacité de l'Europe d'éviter tout ceci diminuerait radicalement : des leaderships politiques responsables doivent expliquer aux opinions publiques que le coût du non-élargissement, le coût de la non-Europe dans les Balkans, serait très élevé et, en tout cas, supérieur aux avantages.

Je suis convaincu qu'une future inclusion de la Turquie dans l'UE relève également de nos intérêts - à condition naturellement que la Turquie évolue concrètement vers le respect total des critères d'adhésion. Il s'agit d'une décision extrêmement importante non seulement en termes géopolitiques, mais également en termes identitaires. Le risque d'une exclusion à priori de la Turquie aurait une signification très claire: la tentation de définir l'identité de l'Europe non pas au nom de valeurs partagées qui lui sont propres, mais « contre » quelque chose, dans ce cas la différence vis-à-vis du monde islamique.

Définir l'identité du projet européen « contre » l'autre, un ennemi extérieur potentiel, au lieu de partir d'elle-même, représente naturellement un facteur d'unité facile. L'Europe des années 50 était définie également contre l'ancien espace soviétique. Certains tendent à définir l'Europe post 1989 et post 2001 « contre » les Etats-Unis et d'autres, « contre » l'Islam. Autant de choix erronés. L'Union européenne continue à avoir besoin, entre autres pour rester unie, d'un rapport solide avec les Etats-Unis. D'autre part, si elle essayait de se définir « contre » l'Islam, l'Europe augmenterait dramatiquement tant ses propres tensions intérieures que les tensions extérieures dans cette vaste région - la Méditerranée élargie - où nous devons en revanche assumer des nouvelles responsabilités.

Après l'entrée des Balkans, et éventuellement de la Turquie, l'élargissement de l'UE devrait s'arrêter - c'est là ma théorie - il devrait s'interrompre au moins jusqu'à un avenir prévisible. L'identité européenne a besoin de frontières certaines. L'Europe devrait, par contre, conduire des politiques de voisinage plus crédibles, avant tout vis-à-vis de la Russie, de l'Ukraine, de l'ancien espace soviétique, de la Méditerranée méridionale.

Autant de projets qui réclament pour leur bon fonctionnement une condition ultérieure et générale : à savoir une plus grande flexibilité. Avec l'augmentation des membres de l'Union, la capacité de gérer différences et diversités devra elle aussi augmenter. L'Europe sera à plusieurs vitesses ; l'important est qu'elle parcoure la même voie. Le scénario idéal, pour le développement politique de l'Union, est qu'un noyau moteur de pays - parmi lesquels le nôtre - fasse partie de toutes les formes de coopération ou d'intégration ultérieures : dans les politiques de sécurité intérieure, par exemple, ou dans la politique de défense ou dans des politiques capables de fortifier la gouvernance de la zone de l'Euro.

Selon une vision euro-idéaliste actualisée, nous aurons une Europe des règles communes et du marché intérieur, qui coïncidera avec l'espace élargi, et, en même temps, nous aurons des groupes européens plus restreints, comme c'est d'ailleurs le cas avec l'Euro. Gérer l'ensemble de ce dessein, et, à la fois adapter les politiques économiques aux pressions globales, ne sera guère facile, mais c'est le seul moyen qu'on puisse mettre en œuvre pour que les Européens puissent être compétitifs avec succès dans le monde du XXIe siècle.

L'espace social, plus que le modèle social

Adapter les politiques économiques aux pressions globales, comme je viens de le dire. En réalité, la tâche de la gauche réformiste européenne est plus compliquée : elle devra démontrer que croissance et solidarité sociale peuvent continuer à se combiner et qu'une mondialisation gérée multilatéralement ne représente pas le triomphe planétaire d'un capitalisme sans freins, mais un instrument potentiellement extraordinaire d'émancipation pour des millions d'individus confinés pendant des décennies dans des conditions de marginalisation et de misère. C'est l'un des éléments indispensables, et il est presque superflu de le signaler, d'une offre européenne crédible. Essayons de partir des données de fait. Deux indications évidentes ressortent de ces dernières années. La première c'est que des marchés plus ouverts constituent une condition pour la croissance. Mais nous devons ajouter que la mondialisation, une bonne mondialisation, ne signifie pas ouverture totale et sans règles des marchés. Nous devons aussi rendre plus évident la différence qui existe entre le protectionnisme et la légitime protection des plus faibles. Deuxième indication : les faits donnent tort à ceux qui avaient craint qu'une plus grande ouverture à la compétition internationale n'aurait, dans tous les cas, produit un affaiblissement de l'Etat social. En réalité, la croissance fondée sur la connaissance et sur l'innovation exige des formes avancées de protection sociale, basées sur la création « d'opportunités » pour tous et sur la mise en valeur du capital humain : apprentissage continu, prolongement de la vie professionnelle, défense du travailleur individuel plutôt que du poste de travail individuel. La question est donc ailleurs : une réforme des anciens modèles sociaux qui aille dans ce sens-là. Là où ce processus a déjà été entamé la protection a augmenté. Tandis que - si l'on considère l'Europe dans son ensemble - on constate qu'une poussée vers l'abaissement des conditions sociales n'a pas eu lieu .

Mais comment répartir les compétences - dans ce secteur crucial pour les politiques de la gauche réformiste - entre Union européenne et Etats nationaux ? Il appartient aux Gouvernements nationaux de définir les formes spécifiques de protection sociale, à partir des diverses réalités institutionnelles. La notion d'un « modèle social unique» européen n'aide guère à introduire les réformes indispensables. L'Union européenne d'autre part a des fonctions importantes à exercer, entre autres parce qu'il existe des droits généraux qui doivent être protégés dans l'Europe élargie, comme le droit à l'éducation, le droit à un revenu minimum et à une assurance sociale minimale, la possibilité du transfert des droits acquis lors de déplacements au sein des pays de l'Union. En d'autres termes : il n'existe pas un modèle social unique en Europe, mais un espace social européen doit et peut exister.

En suivant cette logique, nous devrions nous fixer trois objectifs :

- agencer les réformes des marchés des produits et des capitaux au niveau européen avec les réformes des marchés du travail sur le plan national. Pour l'instant, l'Agenda de Lisbonne, en bonne partie restée lettre morte par suite de la nature velléitaire et non contraignante de la méthode de coordination ouverte, n'a pas réussi à déclencher une coordination effective. Le Conseil Européen pourrait s'engager à mettre en place, progressivement, un réseau de protection sociale au niveau européen, y compris un revenu minimum garanti dont les coûts de bilan pourraient être négociés, dans le respect du Pacte de stabilité, au même titre que sont traitées d'autres réformes, comme celles des retraites. De même, une plus grande partie des ressources européennes devraient être investies en faveur des jeunes générations (des chercheurs italiens ont élaboré des propositions intéressantes relatives à un fonds européen ad hoc), pour soutenir la réforme nécessaire des systèmes de prévoyance nationaux ;
- réformer une structure du bilan de l'Union encore trop imprégnée de priorités désuètes: nous avons besoin en effet d'investir de plus grosses sommes dans la recherche et l'innovation ainsi que dans des actions extérieures, telle que l'aide au développement ;
- mettre à profit, au lieu de subir ou de craindre, la plus grande mobilité de la connaissance et du capital humain engendrée par la mondialisation. Pour des raisons de dynamisme économique, et non pas seulement pour des raisons de sécurité, l'Union européenne devrait viser à pratiquer une politique commune de l'immigration, qui permettrait ainsi de distinguer clairement entre flux illégaux et flux légaux et de mettre plus facilement en liaison immigration et transformation des marchés du travail.

Comme on le voit, la politique sociale est par définition une matière qui relève de la responsabilité nationale (ou sous-nationale) ; mais les institutions européennes ont un rôle important à jouer. Et je tiens à le dire pour souligner un point qui me semble substantiel : le Gouvernement auquel j'appartiens est un Gouvernement européiste également parce qu'il n'entend pas décharger sur Bruxelles ses propres responsabilités nationales. Si nous considérons encore une fois l'économie, nous pouvons conclure que la logique de l'Euro - la « souveraineté partagée » - ne doit pas finir par déresponsabiliser les Etats nationaux, dont continue à dépendre la volonté et la capacité de mettre en œuvre des réformes structurelles.

D'autre part, la valeur ajoutée de l'Union européenne apparaîtrait plus nettement avec une meilleure gouvernance de la zone de l'Euro, qui devra miser sur le renforcement de l'euro-groupe et sur un véritable achèvement du marché intérieur auquel nous ne sommes pas encore parvenus.

Il est également nécessaire que l'Europe réussisse à exercer une plus grande influence sur la gouvernance économique globale. Dans le secteur commercial, nous avons tout intérêt à miser sur des accords multilatéraux fondés sur la réciprocité, en évitant de céder à la tentation du bilatéralisme compétitif. Reprendre le Doha Round est donc une priorité. Dans le domaine monétaire et financier, l'influence européenne restera toujours inférieure à ce qu'elle pourrait être si nous ne convenons pas d'unifier notre représentation au Fonds monétaire international.

Autant d'objectifs que les forces réformistes européennes doivent promouvoir de concert avec cette partie du monde industriel européen qui ne croit pas dans le protectionnisme mais dans les règles communes et conjointement à cette partie du monde du travail qui ne croit pas à la défense statique du statu quo mais aux réformes sociales. Il s'agit d'une alliance possible à condition de mettre au point une stratégie plus unitaire et plus claire.

Un quasi-acteur international

La politique européenne doit être crédible également en matière de sécurité internationale. Nous devons savoir assumer notre part de responsabilité, en expliquant aux citoyens du vieux continent - qui depuis des années réclament une plus grande présence de l'Europe dans la politique étrangère - que notre responsabilité implique des coûts humains et financiers. Mais il n'existe pas d'alternatives: si l'Europe n'agit pas à l'extérieur, ce seront les insécurités du monde global qui retomberont sur nous.

Une politique étrangère commune européenne a besoin d'au moins deux conditions. D'une part, nous devons compléter l'élargissement, comme je le disais auparavant: il s'agit dans tous les cas de la politique étrangère la plus efficace dans l'espace voisin. D'autre part, nous devons augmenter la cohésion entre les priorités extérieures des Etats de l'Union - ce qui n'exclut pas pour autant une répartition des responsabilités « géographiques » entre différents groupes de pays de l'Union. Je tiens à souligner que - pour autant que l'on parle de « re-nationalisation » des politiques étrangères - le traumatisme de 2003, la division sur l'Irak, a abouti à une conclusion tout au moins théorique : une Europe plus unie en politique étrangère est une nécessité incontournable. L'alternative est l'insignifiance non seulement des petits, mais aussi des grands Pays européens.

Sur ce point aussi il faudrait épurer le débat de disputes théologiques stériles. Notre but ne peut pas être d'opposer une politique étrangère et de sécurité de l'Union européenne tous azimuts vis-à-vis des politiques étrangères et de sécurité nationales. Il serait peu réaliste de penser à un transfert total de fonctions et de compétences, dans ce secteur, de la part des Etats nationaux à l'Union.

Il s'agit essentiellement de faire en sorte que les efforts nationaux convergent, qu'il y ait des économies d'échelle possibles dans la Défense et que l'Europe réussisse effectivement à arrêter et à mettre au point des stratégies internationales communes. L'Union Européenne - face aux tensions d'un monde où la diffusion du pouvoir signifie anarchie internationale, à moins qu'il ne soit mis en place un aménagement post-bipolaire - doit réussir à se doter de la volonté politique et des instruments opérationnels qui lui permettront d'agir dans la cohésion sur les « grandes questions » de sécurité. Il faut savoir exprimer, sur ces questions, une entente ferme quant à la volonté d'agir ensemble.

Quelles sont les "grandes questions"? Avant tout, les rapports avec les autres centres ou pôles principaux du système international. Non seulement les Etats-Unis - auxquels nous restons liés par une alliance qui gagnerait plus de force si l'Union européenne fonctionnait en tant qu'interlocuteur politique de la relation transatlantique, mais également la Russie, la Chine, l'Inde. Vis-à-vis de chacun de ces « pôles » du système international, l'Europe a besoin de stratégies politiques plus efficaces. Nous savons que l'expérience des « stratégies communes » de l'Union européenne a jusqu'à présent fort peu, et mal, fonctionné. Mais c'est précisément de cette expérience - un cas emblématique est la fragmentation des rapports avec la Russie - que nous devons tirer les justes enseignements. Je suis convaincu que le manque de stratégies communes à l'égard de la Russie et des autres grands pays ne convient ni à nous ni à eux: il met chaque Pays européen dans une position défavorisée au cours des négociations avec les grands partenaires, mais demeure, en perspective, peu avantageuse et rassurante également pour ces derniers qui, en définitive, s'intéressent à l'Europe en tant qu'espace économique et politique intégré.

Une autre "grande question" pour une politique commune européenne, c'est la sécurité énergétique. Comme l'indiquent les projections de la Commission, notre dépendance des importations de gaz et de pétrole d'ici 2030 augmentera de façon spectaculaire. Il est évident qu'aucun choix national ne sera suffisant en l'absence d'une stratégie énergétique européenne dont nous venons à peine de commencer à discuter .

Citons ensuite - parmi les « grands thèmes » - la gestion des crises internationales, où il y reste encore beaucoup à faire pour que l'Europe agisse à l'extérieur en tant qu'acteur unitaire. Souvent parmi les acteurs, nous trouvons les Européens mais pas l'Europe. La réponse européenne à la crise libanaise a représenté, à cet égard, un signal important du réveil de l'Europe.

Tout ceci s'inscrit dans un raisonnement plus général. Si nous croyons effectivement dans le multilatéralisme efficace, comme nous l'affirmons, nous devons renforcer le rôle et la visibilité de l'Europe dans les principales Organisations internationales. Avant tout, au Conseil de Sécurité de l'ONU où l'Italie est en train de promouvoir - aux côtés d'autres pays européens qui siégeront au CdS au cours de ces deux années - une coordination plus poussée à Bruxelles sur les questions à l'ordre du jour à New York. Nous verrons dans quelle mesure cette tentative nous aidera à conserver une approche unie face aux deux enjeux majeurs qui se dessinent : la décision sur le statut final du Kosovo et la gestion des sanctions contre l'Iran.

Laissez-moi vous livrer une dernière réflexion : dans l'agenda international de l'Union européenne, le rang de priorité de la sécurité établi par les Gouvernements correspond rarement à celui que lui accordent les citoyens. C'est un fait qui crée des problèmes de consensus à l'Europe. Les priorités de l'agenda de la sécurité doivent être partiellement remises en cause, en mettant au centre - comme l'Europe est finalement en train de le faire - des questions comme la sécurité environnementale. Ce n'est que si elle reste ancrée à une stratégie commune que l'Europe pourra tenter d'engendrer un « nouvel ordre environnemental ». Nous avons besoin d'un accord « post Kyoto », susceptible d'engager dans la réduction des émissions également les Etats-Unis, la Chine, l'Inde. La question de la sécurité environnementale aide en définitive à mieux comprendre les potentialités d'une Europe capable de choisir dans tous les cas d'agir - comme cela a été le cas pour le protocole de Kyoto ou pour la campagne actuelle contre la peine de mort ; mais elle aide également à mieux appréhender ses limites en l'absence d'un plus grand consensus international que l'Europe même pourra favoriser uniquement si elle est unie.

Je ne suis pas pessimiste quant à l'avenir de l'Europe. Je suis optimiste parce que j'estime qu'après les traumatismes et les divisions de ces dernières années, la prise de conscience de l'enjeu a fortement augmenté : l'Union européenne est notre réponse aux défis globaux. Comme j'ai essayé de le dire, la réalisation de cette prise de conscience dépendra uniquement de la cohésion des leaderships nationaux et du consensus retrouvé de citoyens européens qui se sentent effectivement européens, mais qui aussi ont besoin de nouveaux horizons. En tant que gauche réformiste européenne nous devons offrir ces horizons ainsi que des solutions crédibles. Des certitudes sur le plan constitutionnel - selon les directives du Traité de 2004 ; mais également sur les frontières ultimes de l'Europe, sur l'avenir de nos modèles de société, sur les politiques de sécurité intérieures et extérieures.

Je voudrais conclure par un épisode qui s'est passé il y a deux ans. Il m'est arrivé de rencontrer, avec un groupe de leaders socialistes européens, le président chinois Hou Jintao.

Nous, les européens, nous lui avons exprimé notre préoccupation à l'égard de la politique unilatérale des Etats Unis. Le président Hou nous a souri et nous a répondu: « nous ne sommes pas préoccupés. Nous pensons rattraper économiquement les américains dans la première moitie du 21ème siècle. Nous sommes une grande puissance qui sera appelé a gérer le bipolarisme sino-americain ».

Puis il s'est arrête, a réalisé qu'il était face à trois européens. Et il a ajouté : « Bien sûr il y aura aussi l'Europe …si elle est unie ».

Voilà tout simplement la vérité. Si l'Europe n'est pas unie dans quelques années, aucun pays européen ne restera membre du G8, et en même temps le poids des européens sur la scène internationale va brusquement diminuer.

L'Europe unie est donc avant tout une nécessité qui répond aux intérêts fondamentaux des citoyens européens. Seule l'Europe unie peut jouer son rôle dans la mondialisation, sans devoir uniquement en souffrir les conséquences.

Enfin, je suis convaincu que pour nous, pour la gauche et pour les socialistes, la présence de l'Europe sur la scène mondiale signifie que nos valeurs auront plus de poids.

Les droits de l'homme, la liberté, la démocratie, la politique, la cohésion sociale, sont des valeurs universelles enracinées dans la civilisation européenne.

C'est donc pour ces raisons que nous avons besoin de l'Europe.

Trois grands défis nous attendent pour une mondialisation au visage humain:

- multilatéralisme et non pas logique de pouvoir
- lutte contre la pauvreté et contre les inégalités
- développement durable

Sans une Europe unie, protagoniste, on ne pourra pas gagner ces défis décisifs pour le présent et pour les générations futures.

C'est ça le véritable esprit de la mission européenne.

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