Discorso
15 gennaio 2011

Conference "Socialisme et Capitalisme. Histoire, mutations, nouveaux défis" - Intervension par Massimo D'Alema sur "L'avenir su socialisme europeen"

Paris - Salle Lamartine, Immeuble Jacques Chaban-Delmas, 101, rue de l'Universite


L’avenir du socialisme : voilà un thème passionnant et non aisé à traiter dans la crise que nous traversons. Nous sommes en droit de nous demander s’il est raisonnablement envisageable que les forces socialistes et social-démocratiques reviennent en Europe pour jouer le rôle politique extraordinaire qu’elles ont joué au cours des cent années écoulées et en particulier après la deuxième guerre mondiale. Cette interrogation ne concerne pas seulement la réalité particulière de mon pays, l’Italie. Certes, en Italie la tradition socialiste apparaît désormais dispersée et quiconque se reconnaît dans les valeurs du socialisme démocratique milite dans ce parti démocratique, le rassemblement réformiste, qui représente la force de loin la plus grande du centre gauche. Mais même dans les pays à la plus solide tradition socialiste et sociale-démocrate, il semble exister une difficulté qui va au-delà de l’alternance physiologique au gouvernement entre forces de diverse vocation politique. Les socialistes sont au gouvernement seulement dans six des vingt-sept pays de l’Union ; dans aucun des plus grands, à l’exception de l’Espagne et ils ont été repoussés à l’opposition, même dans ces pays de l’Europe scandinave dans lesquels le modèle social-démocrate a remportée le plus grand et incontesté des succès. Ce qui frappe c’est que dans divers pays, malgré les difficultés des gouvernements conservateurs, les socialistes n’arrivent pas à représenter une réponse appropriée à la crise et l’opposition apparaît politiquement fragmentée et divisée. Des nouveaux protagonistes politiques sont apparus qui ont pris un poids toujours croissant. En Allemagne, par exemple, les sondages assignent aux Verts un poids politique équivalent à celui de la social-démocratie. Dans certains cas, également, les positions de la gauche radicale, qui semblaient annulées depuis 89 et l’effondrement du communisme, ont repris de la force. Ce qui frappe dans la condition actuelle du mouvement socialiste et social-démocrate européen, c’est le fait qu’il y a dix ans seulement les socialistes étaient au gouvernement dans 14 des 15 pays membres à l’époque de l’Union européenne, et autour de la table du Conseil européen siégeaient le président et dix vice-présidents de l’Internationale socialiste. Ce qui frappe également c’est le fait que la crise du mouvement socialiste advient au moment où la grande crise du capitalisme mondial met en discussion les fondamentaux de cette culture néo-libéraliste qui a si profondément influencé les grands processus politiques et économiques au cours de ces trente dernières années. Peut-être est vrai ce que le grand historien anglais récemment disparu, Tony Judt, a écrit dans son dernier essai « II fares the land », c’est-à-dire que le socialisme est une idée née au XIXe siècle et qu’il a vécu son histoire au cours du XXe siècle. Cependant, dans ce même essai de Tony Judt, l’auteur défend avec passion l’actualité de nos valeurs et soutient la vitalité de l’expérience social-démocrate sur la base d’une distinction entre socialisme et social-démocratie qui apparaît vraiment trop mince. Mais il pose tout de même un problème, dans le sens où l’idée de la démocratie est un élément essentiel pour fixer l’identité d’une gauche moderne. Cependant, Tony Judt nous confronte au vrai paradoxe de notre époque, à savoir que la crise politique du mouvement socialiste ne signifie absolument pas que le monde aujourd’hui a moins besoin d’une force qui se bat pour l’égalité et pour la justice sociale. Quelles connotations cette force assumera-t-elle? Quels rapports aura-t-elle avec la tradition et l’histoire du socialisme? Autant de questions auxquelles répondre non seulement sur le plan théorique, mais également pour identifier ce que l’on doit faire pour renouveler et relancer notre mouvement.
La meilleure façon pour parler de l’avenir est toujours de partir du passé, de l’histoire. Le mouvement socialiste a donné une empreinte décisive à l’histoire européenne. Il a conditionné le capitalisme en se rendant protagoniste de ce que Ralf Dahrendorf a appelé la «quadrature du cercle», en d’autres termes concilier le développement capitaliste avec la démocratie et la justice sociale. En ce sens, nous pouvons parler d’une hégémonie social-démocrate en Europe, du fait que les principes et les institutions du welfare sont devenus des éléments fondamentaux de la civilisation européenne et ont caractérisé le modèle de vie et de développement économique, ce qui a été appelé l’économie sociale de marché. En un certain sens, on pourrait dire que la crise social-démocrate naît également de l’accomplissement d’une mission historique. Mais il est tout aussi vrai que ce patrimoine a été mis en discussion par les effets brutaux d’un capitalisme sauvage sans règles. Le socialisme européen a été mis sur la défensive. Entendons-nous bien, j’estime qu’il est juste de défendre des acquis et des valeurs qui appartiennent à notre civilisation et cependant il n’est guère facile, pour un mouvement contraint substantiellement de défendre les conquêtes du passé, de se présenter comme le constructeur de l’avenir.
La mondialisation a été le grand enjeu qui a ouvert la crise du mouvement socialiste en Europe. Avant tout, parce que la transformation de la société et de l’économie a investi les fondamentaux du modèle social-démocrate: la croissance progressive et linéaire de la richesse en Europe, la structure social de nos pays fondée sur la centralité de l’organisation fordiste du travail; le rôle et les pouvoirs de l’Etat national. En même temps, la mondialisation est en train de ramener à de plus justes dimensions le rôle même de l’Europe sur la scène mondiale. De nouveaux protagonistes émergent a côté du retour de grands pays à un rôle de premier plan des relations internationales et des équilibres économiques. Face à ce défi, le vieux continent semble se replier sur lui-même. Un sentiment de peur prédomine: peur de la compétition économique qui vient de l’Asie; peur de la croissante immigration, d’autant plus au moment où la crise économique incite surtout les plus pauvres à considérer les immigrés comme une menace; peur de l’Islam dans un climat croissant d’intolérance religieuse et de fondamentalisme. Il semble que s’offusque ce sentiment de confiance dans le progrès, de confiance dans l’avenir qui a été pendant longtemps l’esprit des Européens dans lequel la gauche et le socialisme ont trouvé aliment et force. Le sentiment de peur renforce au contraire la droite; en particulier une droite régressive et populiste, différente par rapport à la droite libérale du passé, qui propose comme réponse aux incertitudes du monde global la référence à la terre et au sang, le repli autour d’une vision d’une Europe chrétienne qui apparaît en conflit avec l’universalité même du message chrétien et encline à favoriser l’idée d’un conflit de civilisation. Pour aussi régressive et dangereuse que soit cette vision, elle apparaît aujourd’hui cependant plus efficace que la nôtre pour répondre à un besoin de protection et d’identité qui imprègne nos sociétés, en particulier dans les couches sociales les plus faibles et les plus vulnérables face aux défis de la mondialisation.
Le destin du socialisme est lié au destin de l’Europe. Entre autres parce que le socialisme démocratique a été un phénomène européen qui n’a pratiquement pas dépassé les frontières de notre continent. C’est là l’une des raisons de la crise du socialisme: tandis que le capitalisme est mondial et a ses centres propulseurs et moteurs toujours plus en dehors de l’Europe, le socialisme est européen. En d’autres termes, il est l’expression politique d’un continent qui progressivement perd de son poids et de sa centralité.
Et pourtant la crise internationale que nous sommes en train de vivre et de laquelle le monde, et en particulier notre continent, ont peine à sortir, montre à quels point les idées, les valeurs, les principes fondamentaux dont la gauche socialiste a été porteuse au cours de son histoire sont actuels. Cette crise n’est pas un accident de parcours le long du chemin des destins magnifiques du capitalisme mondial. En réalité, elle marque la chute d’une illusion idéologique, de l’idée en d’autres termes que le marché affranchi des liens et des conditionnements de la politique aurait garanti à lui seule une croissance ininterrompue et une redistribution vertueuse des ressources. C’était loin d’être vrai, au contraire, ce qui a été généré c’est un développement déformé et fragile qui a alimenté des inégalités insoutenables, non seulement entre les pays riches et les pays pauvres, mais également au sein même de nos sociétés. Maintenant, plus que jamais, on aurait besoin d’une action politique mondiale, capable de combler le fossé entre une économie mondialisée et une politique substantiellement confinée au sein des Etats nationaux. Le thème de la démocratie est de nouveau central, en termes nouveaux par rapport au passé. Au fond, pour nous autres Européens, la démocratie est une valeur commune et acquise, de même qu’acquise était la coexistence entre capitalisme et démocratie. Aujourd’hui, cette question apparaît beaucoup plus problématique. A l’échelle mondiale, le pouvoir des grands groupes financiers n’est pas contrebalancé par un pouvoir public, quel qu’il soit. C’est là le vrai problème politique de la régulation. Il ne s’agit pas d’une question technique, mais d’un véritable déficit démocratique. Et le déclin de la démocratie investit également la dimension nationale où le populisme, le contrôle des médias, le poids de l’argent dans la compétition politique tendent à altérer et à appauvrir le fonctionnement des systèmes démocratiques.
Il n’est pas facile de reconstruire les formes d’une participation critique des citoyens, capable de contrebalancer le poids croissant des leaderships, de même qu’il n’est pas facile, après que pendant des années a été exaltée l’idée de la primauté de l’économie sur la politique, rétablir par contre une capacité fondamentale des institutions publiques d’orienter et de règlement le développement vers des finalités de promotion humaine et de croissance civile. Ceci est, cependant, l’une des tâches fondamentales d’une force progressiste renouvelée: rétablir la primauté de la politique sur l’économie et construire et renforcer les institutions susceptibles de jouer ce rôle au-delà des frontières nationales. Pour nous Européens, ceci signifie avant tout qu’une nouvelle gauche ne peut que être radicalement européiste. Dans le passé, à gauche également, il a régné une certaine méfiance, même envers une Europe « technocratique», qui semblait vider les Etats nationaux «démocratiques», mais aujourd’hui, il est clair que le seul type de souveraineté qui peut être exercée dans de nombreux domaines est la souveraineté partagée au niveau européen. Une des raisons de la défaite des socialistes au gouvernement dans les années ‘90 a été exactement le fait que l’on a perdu l’opportunité de pousser au-delà le processus politique européen. Les documents du Conseil de Lisbonne sur la compétitivité basés sur la croissance, ont été la plate-forme socialiste pour l’Europe, mais en ce moment là on n’avait pas pris suffisamment en compte que l’Europe manquait de pouvoir, de moyens et d’instruments pour réaliser tout cela. Il est aujourd’hui évident que sans une Europe plus forte et une stratégie commune pour la croissance, le développement et l’emploi, il sera très difficile de défendre les acquis sociaux réalisés dans nos pays et même les conquêtes les plus importantes de l’Union européenne, le marché unique et l’union monétaire. A mon avis il n’y a aucune contradiction entre la revendication du succès de la construction européenne, obtenue avec une contribution importante des socialistes, et le fait d’affirmer aujourd’hui que nous avons besoin d’une nouvelle démarche, d’une véritable différence de qualité, je dirais, dans notre action. Nous avons besoin d’une stratégie européenne de croissance et de développement, nous avons besoin d’une Europe plus unie et plus forte sur la scène internationale, d’une Europe qui soit un acteur politique crédible. Où est-elle dans la Méditerranée? Où est-elle dans la crise du Proche-Orient ?
Il y a quelques années, juste après l’occupation américaine à Baghdad, moi et deux autres personnalités du socialisme européen, Antonio Gutierrez et Paul Rasmussen, on a eu l’occasion de rencontrer le Président chinois. On lui a dit : «Monsieur le Président, on est préoccupés pour la politique unipolaire des Etats-Unis ». Il nous a répondu : «Nous ne le sommes pas. Il ne serait pas réaliste pour les Etats-Unis de mener une telle politique. Dans quelques années ils seront obligés à négocier avec la Chine, avec nous». Et nous avons eu la perception qu’il voulait nous préparer à ce moment. Comme vous le savez, les chinoises sont très polis: sachant qu’il parlait à trois européens, il a ajouté : «Bon, l’Europe aussi sera autour de la table, mais seulement si elle sera unie».
C’était un message à mon avis très clair. Je suis réaliste: je sais bien que les Etats-Unis d’Europe ne sont pas dans l’agenda, mais on peut essayer tout de même de faire quelques pas en avant: plus de gouvernance économique, une plan européen d’investissements, une présence unitaire de l’Europe dans les institutions financières internationales – où on sait bien que l’on a plus de pouvoirs si on est unis –, peut-être moins de représentants. Dans le cadre du Traité existant il est possible de s’engager pour obtenir des progrès. A mon avis, les socialistes et les progressistes européens devraient se battre pour ça. Je suis un admirateur du modèle allemand, mais on ne peut pas sous-estimer qu’une bonne partie des exportations allemandes restent en Europe. Ça veut dire que pendant que l’Allemagne se renforce, les déséquilibres à l’intérieur de l’Union européenne augmentent. Et Madame Merkel est très habile, parce qu’elle sais très bien que l’absence d’une stratégie européenne de développement est exactement l’un des principaux points de force du modèle allemand. Mais à mon avis cette stratégie allemande ne fait pas l’intérêt de toute l’Europe. Si nous regardons les tendances économiques face à la crise, ce qui à mon avis est frappant, est que les différences à l’intérieur de l’Union sont en train de s’accroître sérieusement. Et jusque quand le marché unique, le système monétaire, pourront-ils résister à cette évolution? C’est pour cela que – j’insiste – il faut revendiquer les succès de l’Europe mais au même temps il faut penser aux changements possibles et nécessaires.
L’autre grand thème qui semblait désormais oublié et que la crise mondiale a reproposé avec une actualité prégnante, est celui des inégalités sociales et de la lute pour l’égalité. Pendant plusieurs années, la gauche est restée timide dans ses propositions de la valeur de l’égalité: l’expérience de l’égalitarisme nivellateur des systèmes communistes et le retour en force de la valeur de l’individualisme avaient relégué dans l’ombre le thème de l’égalité. Maintenant nous nous sommes rendus compte de combien a augmenté l’inégalité par suite d’un développement sauvage non régulé. Malgré la croissance de la richesse au niveau mondial, pauvreté et inégalités sociale ont augmenté dans la plupart des pays développés. Ce n’est pas un hasard que l’un des facteurs déclenchant de la crise a été la chute des consommations dans les pays riches due à l’appauvrissement des travailleurs et des classes moyennes. L’un des aspects de l’inégalité croissante est le déplacement de richesse du travail au capital. D’une part la concurrence des pays émergents a contribué à contenir le niveau des salaires dans le but de maintenir la compétitivité de nos produits. D’autre part la mobilité des capitaux a augmenté l’iniquité des systèmes fiscaux dès lors qu’il était toujours plus difficile de taxer la rente financière en favorisant ainsi le déplacement du poids de la taxation sur le travail et sur les entreprises. La réduction des inégalités n’est donc pas seulement un thème de justice sociale mais c’est également l’une des conditions indispensables pour favoriser une relance économique stable qui ne peut que se fonder, en ce qui concerne l’Europe, également sur une croissance du marché intérieur. Mais outre tous ces facteurs, il est juste de réitérer que l’inégalité rend la société plus malheureuse.
Dans un bel essai qui a eu un grand succès, mérité d’ailleurs, par Wilkinson et Pickett « The spirit level. Why more equal societies almost always do better », deux chercheurs anglais nous montrent que l’écart le plus profond entre riches et pauvres génère un taux social de malheur plus élevé. En ce sens donc l’inégalité engendre plus de violence, plus d’ignorance, un plus grand malaise psychique, etc. Si donc nous voulons un nouveau cycle économique qui non seulement soit susceptible de favoriser la croissance du PIB, mais de créer les conditions d’une meilleure qualité de la vie, nous devons mettre tout en œuvre pour redistribuer la richesse et les opportunités. La lutte contre la pauvreté, l’ignorance, l’exclusion sociale, la précarité et l’humiliation du travail doivent redevenir une priorité absolue pour la gauche réformiste. En réalité c’est précisément parmi les couches sociales les plus vulnérables que nous avons cédé du terrain au populisme de la droite; dans ce monde populaire qui ne s’est pas senti défendu, qui a payé le prix le plus élevé de la mondialisation et qui a trouvé dans l’appel au protectionnisme, à la haine contre les immigrés, l’illusion d’une protection. Voilà pourquoi il faut affronter énergétiquement le thème de l’inégalité et de l’exclusion sociale. Nous savons que ce n’est guère facile avec les instruments traditionnels à l’époque du capitalisme et de la compétition mondiaux. Et pour cela également il est nécessaire de favoriser de nouvelles formes de réglementation internationale. Sur ce sujet l’Europe devrait faire beaucoup plus: un système fiscal plus équitable ne peut être obtenu qu’au moyen d’instruments internationaux comme la FTT, utile non seulement à lutter contre la spéculation financière mais également pour redistribuer plus équitablement le poids de la fiscalité entre travail et capital. Et je pense qu’il faut lancer un débat culturel au niveau international sur ce thème, qui est avant tout politique, si l’on veut que la politique soit globale.
Mais le thème de l’égalité ne se ramène pas à celui, pour aussi important qu’il soit, de la redistribution de la richesse. Il faut combattre toutes les inégalités sociales et sur le plan des droits, les inégalités persistantes entre hommes et femmes, celles qui séparent les citoyens européens des nouveaux citoyens immigrés dans notre continent et celle, plus dramatique peut-être de toutes – je voudrais le souligner – qui aujourd’hui investit le rapport entre les générations, dès lors que tandis que la génération la plus ancienne jouit de protections et de droits qui ont été acquis à l’époque de la croissance sociale et économique, les plus jeunes vivent aujourd’hui une diminution dramatique des attentes et des garanties. C’est pourquoi il faut investir sur les nouvelles générations et réorganiser le welfare en le rendant plus universel et plus inclusif.
Le thème de la qualité du développement et d’une compétitivité qui ne soit pas fondée sur la compression des salaires et sur la réduction des droits des travailleurs propose comme essentielle la mise en valeur de la culture et donc de la science et de l’innovation comme facteur de production décisif. On ne sort pas de la crise et on n’ouvre pas un nouveau cycle de développement sans investir de grandes ressources dans l’instruction et dans l’innovation, en particulier dans la recherche de nouvelles technologie éco-compatibles capables de concilier la croissance économique avec la protection de l’environnement naturel et de la vie humaine. Ce fut là l’intuition du Conseil européen de Lisbonne et le document de ce Conseil reste peut-être le résultat le plus ambitieux d’une Union européenne dans laquelle les socialistes étaient la force prédominante. Cependant, il a manqué en nous la cohérence d’une vision européiste, en d’autres termes la capacité de doter l’Union des pouvoirs nécessaires pour réaliser ce programme qui est resté ainsi une sorte de livre des rêves.
Il faut reconnaître que précisément tandis que serait nécessaire une proposition politique «socialiste» centrée, selon moi, sur ces idées principales capables d’esquisser un nouvel horizon, émergent au contraire la faiblesse, l’incertitude de notre mouvement. Au cours de ces dernières années, le socialisme européen s’est divisé entre ceux qui ont accepté – avec ladite troisième voie – une vision néolibéraliste de la mondialisation et ceux qui ont tenté par contre de défendre l‘expérience du welfare national en se faisant l’illusion de pouvoir résister au choc de la grande transformation mondiale. Et je pense que les unes et les autres ont perdu. C’est pour cela que je ne pense pas que la sortie de la crise consiste à revenir à nos principes, ou bien à insister dans une ligne de renouvellement telle que la troisième voie. Ça ne suffit pas.
A mon avis nous avons été dans l’ensemble pris au dépourvu pour relever le grand défi «socialiste» qui était, et est, celui de réguler le capitalisme mondial de façon à générer un développement compatible avec la croissance humaine, (avec la cohésion sociale, avec le respect des droits des personnes et le respect de l’environnement naturel). Mais en réalité ce défi ne peut être relevé que par un mouvement capable d’aller au-delà des frontières du socialisme. Il faut regarder avec réalisme les limites de l’expérience politique de l’expérience socialiste. Aux Etats-Unis d’Amérique, le mot socialisme ne semble pas être utilisable. Dans la plupart des grands pays émergents, ceux que Dominique Moïsi indique comme animés par la culture de l’espoir, ce sont des forces progressistes qui guident les grandes transformations sociales, mais aucune de celles-ci ne se réclame de la tradition socialiste. Pensons-nous qu’aux dernières élections brésiliennes, où, avec la victoire de Djlma Rousseff, l’expérience de Lula a étée confirmée, le candidat qui se définissait social-démocrate était le candidat de centre-droite. Depuis longtemps nous répétons que l’International socialiste ne peut continuer à être un organisme essentiellement eurocentrique et donc peu représentatif des potentialités d’un nouveau front progressiste mondial. Maintenant, plus que jamais, cette question est devenue de première actualité. Nous-mêmes socialistes européens, nous avons senti le besoin d’élargir le champ de nos interlocuteurs en donnant le jour à ce Global Progressive Forum où, aux côtés des personnalités et de mouvements de diverses parties du monde, nous recherchons des analyses et des objectifs communs. Je pense qu’il faudrait avoir le courage de faire davantage en essayant de donner le jour à un mouvement politique progressiste mondial, capable d’aller au-delà de l’Internationale socialiste et de donner une représentation effective aux nouvelles forces de progrès qui sont protagonistes sur la scène internationale. Dans un essai intéressant intitulé «The power of progress», John Podesta, président du Center for American Progress, qui représente aujourd’hui peut-être le laboratoire d’idées le plus stimulant et le plus influent des démocrates américains, explique pourquoi il est nécessaire pour eux d’aller au-delà de la doctrine libérale, qui a essentiellement mis l’accent sur les libertés et les droits des individus, et de se définir par contre plus clairement progressistes en déplaçant l’accent sur la communauté et sur les droits sociaux. Il s’agit d’une analyse très intéressante. Entre les deux rives de l’Atlantique, les forces de la gauche, les forces du progrès, apparaissent aujourd’hui culturellement plus proches que par le passé et ce fait également encouragerait la recherche d’un terrain plus organique de collaboration et de nouveaux instruments de travail commun.
Il appartient au socialisme européen – j’insiste – d’avoir le courage de prendre une initiative politique nouvelle, susceptible d’élargir les frontières pour construire une coalition progressiste internationale qui sache se doter d’institutions et de nouvelles formes d’organisation. Au lieu de se replier sur la défense d’une orthodoxie qui appartient aux expériences, pour aussi noble qu’elles soient, du passé, au lieu de rester liés à une idée de l’Europe et de sa fonction qui ne correspond plus à la réalité du monde d’aujourd’hui, je crois qu’il serait juste de se tourner vers les protagonistes sans lesquels le camp progressiste ne peut exercer aucun poids sur la scène internationale. Je pense certes aux Etats-Unis de Barack Obama, mais également au Brésil de Lula et de Djlma Rousseff, à l’Inde de Sonia Ghandi, à l’Afrique de Nelson Mandela et de ses héritiers. L’avenir du socialisme dans le monde global devrait consister précisément à promouvoir une rencontre entre diverses cultures et diverses expériences progressistes pour engendrer un internationalisme finalement efficace et capable de rendre à la politique cette capacité de guider et d’orienter que l’économie mondiale lui a soustrait. Egalement en ce qui concerne l’avenir de l’Europe, je crois qu’il faut faire preuve de la même ouverture mentale et du même courage novateur. Je ne pense pas qu’il faille surestimer la force de la droite. En réalité, les forces conservatrices ont su interpréter les préoccupations des citoyens européens mais ne semblent pas en mesure d’offrir des réponses efficaces et convaincantes. L’Union européenne, sous la direction de la droite, ne sait offrir rien de plus qu’une politique de défense de la rigueur financière et de la stabilité monétaire. Je ne veux pas sous-estimer la valeur de ces objectifs et cependant si, en même temps, on ne développe pas une politique pour la croissance et pour l’emploi, l’équilibre financier lui-même sera difficilement atteignable. Dans divers pays européens, comme la France, l’Allemagne et aussi l’Italie, les sondages révèlent que l’opinion publique n’est certainement pas favorable aux gouvernements qui sont au pouvoir. Ce qui semble manquer est, jusqu’à maintenant, un projet alternatif fort. Et pour être efficace, ce projet ne peut pas se limiter à une somme de propositions politiques nationales: il doit assumer le caractère d’un projet pour l’avenir de l’Europe. C’est précisément cette idée d’une Europe plus unie et plus démocratique, d’une Europe qui ne soit pas prisonnière de la peur, mais confiante et fière de ses valeurs, d’une Europe de l’espoir qui devrait être le noyau fondamental d’une nouvelle proposition progressiste pour notre continent.
Et je pense aussi qu’il soit possible de construire une coalition ample de forces autour de ce projet: de gauche, écologistes, mais également de forces démocratiques et de centre, capables de représenter une alternative robuste en défense de l’Union européenne et de la démocratie contre la droite populiste. Certes, ce n’est pas un enjeu simple auquel nous sommes confrontés. L’avenir du socialisme dépend avant tout de la fermeté avec laquelle nous saurons reproposer nos raisons, les valeurs et les convictions qui nous ont incités à l’engagement politique. Mais en même temps l’avenir du socialisme dépend du courage avec lequel nous saurons changer les modalités et les instruments de notre action politique, de l’ouverture mentale qui nous permettra de savoir tourner nos regards vers un monde qui change.
Aujourd’hui le monde a plus que jamais besoin d’une politique forte, capable de réagir aux injustices, de corriger les dégâts d’une compétition mondiale sans règles dominée par la finance et surtout de redonner à la communauté elle-même un horizon d’espoir et de confiance. La réponse ne réside plus dans la recette classique du socialisme européen. Il faut la chercher au-delà de la frontière de notre culture, de notre continent. C’est à nous de jouer notre rôle, sans prétention et arrogance, en dialogue avec d’autres cultures et courants progressistes, mais avec l’orgueil de notre histoire et de nos valeurs.
Merci.

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