Discorso
22 gennaio 2014

(Re-)légitimer l’action publique dans l’Union européenne. Une perspective franco-allemande

Assemblée Nationale, Parigi - version française


Chers amis,

Disons-le franchement : nous sommes à la veille d’élections européennes qui constituent un test très complexe. Dans la plupart des pays européens, le débat se déroulera dans un climat de grande souffrance et de tensions sociales et, par conséquent, d’une inquiétante et croissante méfiance envers l’Europe et ses institutions. 

Le risque que nous courons et que nous devons endosser est d’avoir d’un coté une participation très basse et, de l’autre coté, un retentissant succès de mouvements populistes, protestataires et ouvertement eurosceptiques.  

Aujourd’hui comme jamais, la démocratie des institutions communautaires, leur crédibilité et leur légitimité sont mises en cause par un sentiment populaire vaste et multiforme qui, au cours des dernières années, par un crescendo tumultueux, a fini par considérer l’Union non tant comme une réponse à la crise et aux problèmes des citoyens, mais, au contraire, comme un facteur contribuant lui-même à l’aggravation du malaise et de l’insécurité sociale.   

Ce ne sont pas que les politiques menées par l’Union qui sont visées, mais la légitimité-même des institutions communautaires. Ce n’est pas par hasard que s’accroit autant le poids de mouvements et d’organisations ouvertement eurosceptiques, visant délibérément à désarticuler la structure de l’Union, à se débarrasser de la monnaie unique, à re-proposer la dimension nationaliste, voire même locale, comme réponses aux défis et aux menaces de la globalisation.    
L’écart qui s’est installé entre les citoyens et les institutions semble détonant, et seule une réponse politique courageuse et radicale peut être à la hauteur d’une épreuve dramatique dont dépend le destin-même de l’Europe. 

De là nait une nécessité vitale pour les socialistes et les progressistes : plus question de se présenter aux élections en tant que partie d’une classe dirigeante européenne qui défend l’Union telle qu’elle est. 

Au contraire, nous devons affirmer clairement qu’un changement profond est indispensable. Un changement qui doit se déployer en deux directions: il faut changer radicalement la politique, pour aboutir à une Europe plus démocratique et proche des citoyens. Et, en même temps, il faut changer les politiques. Il faut en effet libérer l’Union des mécanismes qui l’empêchent de s’épanouir et orienter des choix concrets vers la croissance et l’emploi, non seulement à travers l’achèvement du marché unique et les fameuses réformes structurelles, mais aussi par des grands programmes d’investissements, à lancer à la fois au niveau des Etats membres et de l’Union-même, à l’instar de ce qui se passe dans le reste du monde, en commençant par les Etats-Unis. 

En somme, les socialistes, les progressistes et les européistes démocrates les plus passionnés ne peuvent que se battre pour une alternative radicale à la condition actuelle des institutions de l’Union et à l’échec des politiques anticrise. 
Ni peut-on considérer valide l’argument selon lequel nous serions enfin à la veille d’une reprise économique, et cela pour deux raisons : premièrement, car elle parait très peu consistante et, tout de même, très inégale. Mais surtout car elle semble être axée sur la capacité d’exportation de certains des Etats-membres et, donc, trainée par une relance internationale plus que par la force des politiques européennes. 

*******
Mon opinion personnelle est que l’on ne peut pas exclure de notre horizon la nécessité d’une reforme des Traités, dans un sens fédéraliste. Bien évidemment, une perspective pareille ne peut s’envisager qu’à moyen-long terme, mais pourtant elle parait comme un objectif-clé, notamment afin de mobiliser les nouvelles générations, de remettre au cœur du processus européen non seulement la gouvernance économique et financière - les ainsi-dites « chroniques de l’euro » - mais aussi l’Europe des droits, de la Charte de Nice, l’Europe des libertés. 

Bref, tout ce qu’y a été mis de coté pendant ces dernières années par une vision technocratique dont les règles, les obligations, les pourcentages se sont substitué aux projets politiques visionnaires. Cela a fini par engendrer un rejet chez les citoyens : quand ils pensent à l’Europe, ils l’associent désormais à une machine à prélever des impôts, qui vise à couper les dépenses sociales, à précariser le travail, à réduire les pensions. Voilà l’image de l’Europe telle qu’elle s’est formée dans la conscience des gens. 

Voilà pourquoi nous devons relancer un grand projet politique idéaliste. Mais bien sûr, je me rends compte qu’il s’agit d’un objectif de moyen-long terme et que pour m’immédiat, il faut mesurer nos politiques dans le cadre institutionnel et des règles existants. 

A cet égard, le premier point concerne le fonctionnement des institutions : pendant ces dernières années, on a assisté à un glissement de l’équilibre institutionnel dans le sens d’un renforcement de la dimension intergouvernementale, auquel s’est accompagné un affaiblissement de la dimension politique commune de l’Union : je me réfère notamment au rôle de la Commission. Le Parlement, par contre, grâce notamment à l’engagement infatigable de Martin Schulz, a su acquérir un rôle de plus en plus important et une visibilité de premier plan. 

Et pourtant, au cœur de la gouvernance européenne demeurent négociations et compromis entre gouvernements nationaux et, à l’issue de chaque Conseil européen, des vainqueurs et des vaincus. 

Un mécanisme qui ne fait qu’alimenter des sentiments nationalistes, épuisant le principe de solidarité qui a constitué la base du projet européen. D’un coté, au sein des pays « forts », notamment le Nord, se nourrit l’idée que les pays méditerranéens, avec leur dette et leurs problèmes, ne sont qu’un boulet, un peuple de flâneurs qui n’aime pas travailler et ainsi de suite. De l’autre coté, dans notre partie de l’Europe on a l’impression d’être sous la botte de l’Allemagne, d’une austérité imposée non tant par des règles partagées mais bien par volonté de gouvernements étrangers. 

Il est donc évident que nous devons renforcer les institutions communautaires, surtout du point de vue de la légitimité populaire. 

A cet égard, l’idée d’une candidature directe au poste de président de la Commission, présentée par chaque famille politique européenne sur base d’un programme clair va justement dans le sens non tant d’annuler le rôle des gouvernements nationaux mais de redéfinir de plus en plus la fonction de la Commission en tant qu’une sorte de gouvernement de l’Europe, axé sur une véritable majorité parlementaire plus que sur une négociation entre gouvernements nationaux ; ce qui la rendrait immédiatement plus apte à imprimer sa direction aux politiques européennes. 

De son coté, la légitimation viendrait d’une investiture populaire, bien qu’indirecte, par ce système qui valorise les opportunités que le Traité de Lisbonne nous offre. Un système qui de toute façon prévoit une double légitimation : à la fois la nomination par le Conseil et le vote de confiance par le Parlement.   

A mon avis, les gouvernements nationaux devraient reculer et reconnaître la primauté du Parlement dans la définition de l’orientation politique de la Commission. 

L’autre terrain sur lequel il faut travailler est un changement des politiques. Un changement que nous devons soutenir avec courage et détermination, en déclenchant une dialectique ouverte, car si nous voulons à la fois intégrer de la politique dans les institutions européennes et l’Europe dans le débat politique de nos pays, nous devons apporter l’évidence qu’il existe une dialectique entre droite et gauche en Europe, et non seulement entre européistes et eurosceptiques. 

Ceci, évidemment, n’ôte pas la nécessité d’avoir des formes de collaboration entre grandes familles politiques européennes, notamment entre socialistes et populaires. Mais la dialectique doit être bien plus claire et nous devons rendre encore plus visibles nos condamnations du modèle néo-libéral et technocratique - axé sur l’austérité - défendu par les conservateurs européens.

Cela requiert tout d’abord une solidarité effective par rapport au problème de la dette souveraine. Bien sûr, cela ne veut pas dire que nous exigeons un paiement de nos dettes par d’autres, mais cela aiderait à limiter les taux d’intérêt et, de là, contribuerait à combattre la spéculation financière. 

Deuxièmement, il est crucial de développer une stratégie d’investissements : sans un grand plan d’investissements, à la fois européen et national en infrastructures, innovation, recherche, il n’y aura aucune véritable reprise économique. L’idée qu’elle doit reposer exclusivement sur la rigueur financière et sur les ainsi-dites « reformes structurelles » - qui consistent en gros à la modération salariale et à la précarisation du travail, ou du moins c’est l’interprétation que l’on leur a donnée jusqu’à présent - est une idée typiquement néo-libérale qui ne marche pas. Preuve en est que l’Europe est désormais devenue le boulet de la reprise internationale. 

Pensons par exemple à l’Allemagne : vue d’ici, elle nous apparaît comme un modèle, et pourtant elle croît moins d’un sixième que les Etats-Unis (sans citer la Chine, le Brésil etc.). La croissance américaine est un cas d’autant plus intéressant du point de vue socialiste, que cette croissance est soutenue par une forte intervention publique. Evidemment, au niveau européen cela entraîne un budget fédéral plus élevé, mais également l’émission de project bond pour soutenir les programmes européens d’investissement. 

Et cela entraine aussi une interprétation flexible du Pacte de stabilité qui ne considère pas les investissements de la même manière que les dépenses publiques. Sinon le critère des 3% produit des effets pervers, car la façon la plus simple d’accomplir le 3% est de couper les dépenses d’investissement et, de là, la croissance. Au contraire, nous devons plutôt pousser les gouvernements à réduire les dépenses courantes. Et, pour ce faire, il faut que dépenses courantes et dépenses d’investissements soient traitées de façon différente, et non pas considérées comme « dépenses publiques » tout court. Voilà les points principaux en matière de politique économique. 

Allant au delà de l’économie, je suis persuadé que deux politiques devraient être mises au banc d’essai : l’établissement d’une politique effective et commune en matière d’immigration et d’intégration et la relance d’un véritable projet européen pour la Méditerranée. Admettons-le franchement : l’Europe a été prise au dépourvu par les changements profonds survenus dans le monde arabe. Des changements chaotiques, contradictoires, auxquels a correspondu, jusqu’à présent, une réponse également confuse et contradictoire par l’Union, une action loin d’être efficace.

Bref, je crois que l’on doit se présenter aux élections sur base d’une plateforme de critique forte, et demander un vote non seulement « pour l’Europe » mais « pour changer l’Europe ».  

Si nous abordons ce débat du point de vue de la perspective européenne, laissez-moi vous parler en tant que représentant de la politique italienne, représentant d’un pays qui a mené une politique rigoureuse : avec Ciampi, Prodi et d’autres, nous avons abattu la dette publique italienne, respectant à travers ce combat impopulaire nos engagements envers l’Europe et nos partenaires. 

Lors du début de mon gouvernement, en 1998, le spread de taux entre nos titres et les titres allemands fut même actif de 4 points, un moment unique dans les derniers 40 ans d’histoire nationale. On peut donc compter aussi des records absolus du point de vue de la rigueur. Ni vous, ni moi ne voulons alimenter une polémique nationaliste ou de bêtes jalousies envers l’axe franco-allemand. 

Au contraire, je demeure persuadé qu’une collaboration plus étroite entre la France et l’Allemagne est une condition essentielle de tenue et d’évolution du projet européen. Il reste à voir si France et Allemagne mettront leur pouvoir au service de l’Europe ou bien s’ils ne feront que suivre leur propre intérêt. 

Malheureusement, au cours de ces dernières années nous avons eu souvent l’impression que ces deux grands pays utilisaient leur remarquable influence pour violer les règles quand ça leur convenait et pour les imposer aux autres quand ça correspondait à leurs exigences.   

Il est temps de se rendre compte que notre tâche dans cette phase historique est de changer de direction et que, dans ce sens, le gouvernement socialiste français a sûrement un grand rôle à jouer. Mais je pense aussi aux camarades allemands du SPD, engagés dans une collaboration certainement compliquée mais tout de même importante avec les conservateurs et qui, comme on l’espère, produira des changements effectifs sur le plan des politiques européennes. 

Plus concrètement, je suis persuadé qu’un accord franco-allemand utile à l’Europe consisterait en une gouvernance plus serrée dans la zone euro, en échange d’un choix plus expansif de la part du gouvernement allemand. Concrêtement, l’Allemagne accepterait d’opérer un véritable tournant en direction d’une politique expansive et d’investissement, en supprimant les obstacles qui l’ont empêché jusque là. La France concéderait un partage de souveraineté au sein de la zone euro et, de là, une coordination plus étroite des politiques de bilan.

Cet accord, à mon avis, pourrait se révéler gagnant et bien évidemment, l’Italie est prête à faire sa part.  L’époque de Berlusconi et Tremonti est révolue. Nos comptes publics sont en ordre, nous avons ramené le spread de taux de plus que 500 points à moins de 200. Mais, nous avons énormément besoin de l’Europe pour affronter avec détermination le thème de l’emploi, notamment des jeunes, la souffrance sociale, les inégalités croissantes. 

Nous avons tous besoin l’un de l’autre pour repartir et ce n’est qu’ensemble que nous pourrons le faire.

Merci.
  

stampa