Intervista
30 ottobre 2015

« Innovons à gauche ! »

David Coppi - Le Soir


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Le thème du séminaire (lire ci-dessous) est parlant : « Gauche radicale en Europe : alliée ou concurrente pour la social-démocratie » ?
Bonne question. Président de la Feps, la Fondation européenne d’études progressistes (un peu l’Institut Emile Vandervelde à l’échelle de l’Union), ancien président du conseil (Premier ministre) en Italie entre 1998 et 2.000, ancien leader du PCI, figure de la gauche italienne en règle générale, Massimo D’Alema répond...

La gauche de la gauche, de Syriza à Podemos, fait parler d’elle. Que se passe-t-il ?

Notre conférence, à Rome, doit aider à y voir clair… Que se passe-t-il ? Pourquoi la gauche plus radicale, qui semblait avoir disparu, ou n’exister que marginalement, resurgit sous de nouvelles formes au cœur de l’Europe ? Quelles sont ses caractéristiques ? Je l’ai dit : nous n’avons pas affaire à la gauche radicale telle que nous l’avons connue chez nous autrefois.

On parlait d’« extrême gauche ».

Oui, et ce n’est plus le cas pour ce qui concerne les mouvements évoqués ici. L’extrême gauche avait son profil idéologique, elle était « fille » de la tradition marxiste ; ici, nous sommes face à des phénomènes différents, liés étroitement aux problèmes et contradictions contemporains, ceux qui agitent maintenant nos sociétés européennes. Ces mouvements émergents représentent en fait une facette de la crise de l’Europe – je ne veux pas parler de « faillite »… De son incapacité à offrir des réponses adaptées aux nouveaux besoins d’émancipation sociale, de progrès, d’emploi, etc. Ils sont l’expression des difficultés de l’Europe. Une expression qui prend la forme de mouvements d’extrême droite, de type populiste, mais aussi la forme de mouvements de protestation « à gauche », que nous ne pouvons appréhender de la même façon.

La « gauche de la gauche », comme on l’appelle parfois pour simplifier, n’est donc pas une variante du populisme ?

Non. Nous devons être très attentifs à l’utilisation de ce mot, populisme, car c’est une façon facile de liquider d’un coup des phénomènes très différents, qui requièrent des analyses différenciées. Podemos et Syriza n’ont rien à voir avec des formations de matrice nationaliste, d’extrême droite, comme on les voit s’affirmer par ailleurs. Par-delà l’analyse, nous devons nous demander : que faire avec ces mouvements ? Le mouvement socialiste est interpellé. Dans un entretien au journal Le Monde le 12 août, j’avais évoqué « le dilemme des sociaux-démocrates ». A savoir : décider si l’on veut s’installer durablement dans une stratégie de coalition avec les forces modérées, de centre-droit, conservatrices, sachant qu’à l’échelle européenne, on est en présence, en somme, d’une grande coalition associant les socialistes et les « populaires » – je veux dire les membres du Parti populaire européen –, un peu le modèle de l’alliance gouvernementale en Allemagne, ou bien si l’on veut faire autre chose…

Votre choix ?

La perspective pour les socialistes européens est-elle d’être les juniors partners du centre-droit ? A mon avis, ce n’est pas souhaitable. Et dès lors, nous devons être capables de regarder au-delà des frontières partisanes et politiques traditionnelles, et nous demander si parmi les nouveaux interlocuteurs à gauche, il y en a avec lesquels nous pouvons tenter l’expérience d’une collaboration.

On peut parler d’un virage à gauche ?

C’est une expression traditionnelle mais oui, il faut s’interroger : une collaboration avec ces mouvements d’un nouveau type est-elle possible ? Il y a différentes approches au sein de la famille socialiste, chacun avec ses particularités, son histoire, et je pense notamment au SPD, sachant qu’en Allemagne, quand on parle des mouvements de gauche plus radicaux, cela « rappelle » historiquement les réalités de l’ex-Allemagne de l’Est, ce qui produit un réflexe de recul. Bref. Réfléchissons tous ensemble avant de nous positionner sur le terrain politique, avant de réagir, en termes d’alliances, etc.

Ces mouvements radicaux émergent aussi parce que le mouvement socialiste est en difficulté.

Bien entendu. Le mouvement socialiste, notamment par réalisme, par nécessité en termes de rapports de forces, a accepté souvent une logique néolibérale, ce qui a favorisé l’émergence de ces mouvements. Il s’agit pour nous, socialistes, de mettre en œuvre à nouveau ce que l’on appelle l’alternative. Dans l’opposition, nous proposons des changements profonds, radicaux puis, au gouvernement, nous éprouvons souvent des difficultés à les mettre en œuvre et nous finissons par être prisonniers d’une « logique de responsabilité »… Cela étant, la présence des socialistes au sein de la Commission européenne, plus généralement au pouvoir en Europe, a eu une influence positive, par exemple pour un assouplissement des politiques d’austérité. Mais cela ne suffit pas. Les socialistes peinent à proposer à nouveau une alternative, par exemple par rapport à notre modèle de développement. Cette alternative a pris corps dans la sphère culturelle ces dernières années avec, de Stiglitz à Piketty, un regain de la pensée critique par rapport au néolibéralisme, qui a dominé longtemps, mais le changement est plus problématique, visiblement, au plan politique. Voilà un autre sujet de réflexion : pourquoi ce décalage, cette contradiction ?

Plus fort que la crise, y a-t-il un « danger » aujourd’hui pour l’Europe, nos sociétés démocratiques ?

Je ne parlerai pas de danger, mais il ne fait pas de doute que les formes prises par le capitalisme financier, globalisé, mettent la démocratie à l’épreuve. Il n’y a pas seulement une crise économique, mais démocratique. Là encore, cela requiert un grand effort d’innovation politique, culturelle, de la part des forces réformistes. Sans cela, nous ne devons pas nous étonner, nous, socialistes, de voir les gens, surtout dans la nouvelle génération, prendre d’autres chemins.


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